Badjens de Delphine Minoui
Badjens est le surnom donné à la narratrice, une jeune iranienne de 16 ans, à l'image de Nika Shakarami, cette adolescente retrouvée morte en septembre 2022, lors des manifestations contre le foulard. Badjens se retrouve actrice d'une mini révolution du foulard dans la République des ayatollahs. En argot persan, ce terme voudrait dire "mauvais genre ou mauvaise graine". Le mot reflette, selon l'auteur, l'image qu'ont les Mollahs de la femme : sexe faible, sexe raté, espiègle, insolente...
L'image de la couverture du livre est parlante. Sous un ciel bleu clair, le paysage est magnifiquement multicolore. Y célèbrerait-t-on la vie ? L'image montre surtout une jeune fille qui soulève son voile au beau milieu de la rue ; rouge à lèvres et le sourire aux lèvres, les cheveux longs et soyeux, métaphore de la jeunesse, et les deux bras en l'air suivis du V des doigts, font penser à la victoire en perspective.
À côté, l'effigie de deux ayatollahs en turban, barbes grises, dont les auteurs regardant de travers, est assez frappante. Difficile de les rater. L'image est aussi grande que le mur de l'immeuble qui les porte. L'iconophilie est le propre des régimes de propagande. La couverture montre un conflit de génération. Pendant que la fille marche droit et fièrement vers l'avenir, les ayatollahs sont visiblement figés sur le présent. Un statu quo. Derrière, une fille portée sur le toit d'une voiture, semble montrer une agitation féminine.
Le roman badjens est un monologue intérieur de la narratrice qui fait un long flash back sur sa vie : de la naissance à l'adolescence jusqu'au moment où son histoire croise celle du mouvement "femme, vie, liberté". Ce slogan kurde, repris en 2022 en Iran, aspire à une transformation profonde de la société iranienne : fin de la théocratie, instauration d'une démocratie laïque et sociale, égalité des droits des femmes et ethniques.
En définitive, Badjens est un roman qui pose la question de la liberté et de la visibilité des femmes, de l'ouverture au monde, de l'activisme féminin dans une société misogyne, phallocratique et dirigiste sur les questions relatives aux femmes ; il pose aussi la question patriarcale, le rapport au père, la question du voile, de l'appropriation du corps féminin, de ses cheveux et de son identité féminine...
Aliou Ndiaye, lundi 15 octobre 2024