Le "massacre" de Thiaroye, ce terme laconique qui veut tout dire et rien à la fois, puisqu'il n'a emporté aucune conséquence juridique, devrait être revu. Il faut rappeler que les corps des soldats avaient été enfouis dans des fosses communes tenues secrètes jusqu'à nos jours. Crime de masse. Barbarie. Recel de cadavres. Crime contre l'humanité. Depuis le 1er décembre 1944, il n'y a eu ni commission d'enquête indépendante, ni accusés, ni procès et donc aucune responsabilité. Ceci est dû au fait que le Sénégal mise naïvement sur la coopération et la bonne volonté de la France pour ouvrir ses archives et reconnaître son crime à son égard ; il s'adosse au vocabulaire de la France qui minore les faits, alors qu'il aurait intérêt à prendre le lead et à faire tout seul son devoir mémoriel et de justice, à l'instar du Rwanda après le génocide de 1994.
Le Rwanda est un cas d'école dans sa volonté de prendre son destin en main. Après le génocide de 1994, plusieurs mandats d'arrêt internationaux avaient été délivrés par le juge français Jean-Louis Bruguière, contre des responsables politiques rwandais, dans le cadre de son enquête sur l'atentat du 6 avril 1994 contre l'avion du Président d'alors Habiyarimana. Ainsi, les victimes devinrent les accusés et les bourreaux devinrent les juges, s'arrogeant même une posture moraliste. C'est cette roue de l'histoire mensongère que le rapport rwandais issu de la commission Mucyo avait arrêté en 2008. Une commission nationale rwandaise avait émis ce rapport mettant en cause de manière factuelle, l'implication de l'État français dans la préparation et l'exécution du génocide, accusant ainsi la France de complicité de génocide.
À aucun moment, le Rwanda n'a fait dépendre de la France pour rendre la justice sur des faits commis au Rwanda et dont les rwandais sont victimes. Tout au contraire, tous les moyens matériels et financiers ont été mis à disposition pour la recherche de la vérité. Ce rapport Mucyo était tellement sans concession que treize dirigeants politiques et vingt militaires français en lien avec le génocide, avaient été nommément mis en cause, en commençant par le Président François Mitterrand et son Premier ministre Alain Juppé, ouvrant la voie à de possibles poursuites judiciaires. La France, pour répondre, a aussi commissionné un rapport en 2021 sous le Président Emmanuel Macron. Ce rapport de la commission Duclert rendu public, sans retenir la notion de complicité de la France, reconnaît sa responsabilité accablante. À quoi, le Rwanda a répondu en sortant un deuxième rapport dont le travail avait été confié à un cabinet d'avocats américain (Bob Muse) basé à Washington. Ce cabinet est connu pour sa mise en cause du sénat sur sa gestion de l'ouragan Katrina, des dossiers dans le cadre du watergate, l'affaire Iran-Contra en Irlande du Nord...
L'intérêt de ce deuxième rapport rwandais, c'est qu'il va au delà de la période génocidaire de 94 et montre les actions occultes de la France pour saboter le nouveau pouvoir, ce qui montre le besoin d'indépendance dans le rapport. Le rapport ne revient pas sur la complicité de la France, dans un contexte d'apaisement, mais contredit le rapport français Duclert qui laisse entendre que l'État français était "aveugle" face au génocide à venir, puisque, rappelle-t-il, que celui-ci n'était ni aveugle ni inconscient au sujet de ce génocide prévisible. Le problème du crime de Thiaroye 44, c'est qu'au delà de l'émotion, aucune décision judiciaire n'a été enclenchée, aucune mesure concrète n'est faite pour que l'histoire ne soit pas oubliée ou falsifiée. C'était aussi le but du procès de Nuremberg après la 2ème guerre mondiale, contre les nazis.
Aliou Ndiaye, vendredi 29 novembre 2024